mercredi 30 juillet 2008

E-Girl - Un parcours : Episode 3

Le Voyage de Noz - Opéra





Voilà des mois que je me suis arrêtée dans mon parcours. Tout juste après deux épisodes. Je savais pourtant quel serait le troisième. Mais impossible à écrire, cette partie ! J’ai recommencé une dizaine de fois. Et à chaque fois, l’insatisfaction : d’abord parce que si je ne voulais pas gratter une dizaine de pages, ça voulait forcément dire que je laissais de côté tel ou tel aspect. Ensuite parce que parler de ce groupe et de ces disques, ça implique forcément pour moi des déballages lyriques et autocentrés (même si c’est un des principes mêmes de l’écriture autobiodiscographique, l’idée reste quand même de parler de disques, et ce sans trop se vautrer dans des « draps de soi ».) Je pourrais d’ailleurs facilement écrire 150 pages sur ce groupe et sa musique. Indigeste, quoi. Donc, je décide de ne plus chercher la perfection, histoire de finir ce parcours avant 2040, et je me tiens aux faits.

Et bien, c’est là que TOUT a commencé.
Tout vient de là.
On est autour de 91-92, il me semble, j’ai 12-13 ans. Je passe une partie des vacances avec mon cousin Olivier et le fils d’un ex de ma tante Emilien. Eux c’est des grands, presque 18 ans, quoi. Emilien passe le bac, mon cousin l’année suivante. Et ils écoutent une cassette en boucle : Le Voyage de Noz, c’est le nom du groupe et la cassette c’est Opéra (enfin je pense, parce que si ça se trouve, c’était Les chants de l’aurore - le truc introuvable, la K7 démo enregistrée pour les fans au tout début du groupe-, mais je ne le saurais jamais puisque Emilien restera le fils de l’EX, donc plus de contact). Un truc de grands, vraiment, avec des paroles très bizarres et un son étrange. Je n’y comprends rien, mais quand quelques temps plus tard je déniche le CD d’Opéra dans la chambre de mon cousin (le vrai, à l’époque, les gravés ça n’existe pas), je le supplie à genoux - ce n’est pas une image, il était coriace - de m’en faire une copie (avec, on ne se refait pas, la k7 de La Boum ;-) ). La cassette je l’ai écoutée des milliers de fois. Le Guru dit qu’il connaît son Gallup par cœur, moi je peux affirmer que je connais mon Noz par cœur. Toutes les notes, tous les instruments. Toutes les virgules sur les pochettes (des heures passées à scrupter chaque détail). Et surtout toutes les paroles.

Parce que pour moi, les Noz, c’est d’abord ça. Les textes écrits et chantés par Stefan. Le disque qui rassemble toutes les chansons du groupe écrites entre 86 et 89, est d’abord le ré-assemblage des morceaux pour écrire une histoire. Des idées posées là, un peu adolescentes, qui créent un nouveau monde, Romantique (au sens littéraire)et onirique, proche de Maldoror et du Voyage au bout de la nuit (tiens, tiens). « Vienne, sous la pluie, se souvient de Schönbrunn / Et Varsovie attend le printemps comme si Prague n’existait plus / A Berlin on mur-mure encore pour un gestalt idéal / Et Venise qui noie ses rêves dans un ultime carnaval ». « Corps à corps et pas à pas, nous avons marché si longtemps / Tant d’efforts et tant de fois, nous avons vu l’océan / Il y avait des fous qui tombaient à trop avoir voulu nous suivre (...) Le sang coule entre mes doigts, Le sang coule entre mes doigts / Tu dessinais nos enfants qui joueraient dans un autre jardin / Je gribouillais des ‘peut-être’ en me perdant dans tes reins / Les journaux annonçaient la guerre et le sourire des nouveaux héros / Nous marchions pour d’autres terres, nous marchions sans un mot ».

Tout vient d’abord de là pour ça. A cause de cette importance que grâce à ce disque, les textes prennent pour moi. J’ai toujours aimé les bouquins, les histoires, toujours lu, toujours été intéressée par les mots, par le matériau et par ce que ça raconte. Et si je peux dire, ma porte d’entrée dans le rock, avec ce que je pouvais entendre chez moi (opéra et classique uniquement, cf. épisodes précédents), ça ne pouvait pas être le son. La musique. Pour moi, c’était brutal, ça faisait mal aux oreilles le rock. Même les Beatles, même les Beach Boys. Je n’entendais pas la mélodie parce que tout était si sonore, si brutal. Imaginez avoir des oreilles qui n’ont entendu presque que la fluidité de Mozart. Donc les textes de Stéfan ont fait ça pour moi. Ils m’ont donné des oreilles pour le rock. Pour ce nouveau son. C’est pour ça que tout vient de là. Sans les Noz, je ne suis pas sûre que le parcours aurait commencé.

Bref, alors si je résume. Parce que je l’ai dit en vraie fan, j’ai des milliers d’anecdotes sur ce groupe là. Et qu’il faut bien les présenter, vu que c’est quand même pas très connu.
Le Voyage de Noz est un groupe lyonnais (là où j’habitais, ado) qui a débuté vers 86-87. Le line up se stabilise : Thierry Tollon, Emmanuel Perrin et son frangin Alexandre, Eric Clapot et Stéphane Pétrier. Ils ont tout de suite eu un gros succès régional, entre autre grâce à leurs prestations scéniques où ils se démarquent vraiment par l’importance accordée à la mise en scène, au visuel. Ils remplissent les salles de la région et sortent finalement Opéra en 89. Le disque est autoproduit mais se vend très très bien dans toute la région Rhône Alpes.

C’est une super carte de visite pour la suite. Du coup le groupe est très courtisé par les maisons de disques pour la sortie du second album. Mais les 5 Noz (Thierry Tollon aux claviers a été remplacé par Thierry Westermeyer à cause d’un problème de santé) refusent de vendre leur âme au diable, et décident de ne pas accepter les compromissions qu’on leur demande pour la sortie de leur deuxième opus, Le signe en 1992. Là encore le disque raconte une histoire et est, en partie, très influencé par Terra Nostra (roman énooorme de Carlos Fuentes, l’un des très grands romanciers mexicains du siècle, si ce n’est de l’Amérique Latine toute entière), Genet, pour les textes. Pour la musique, c’est plus pop-rock. Pour vous donnez des repères, on pourrait dire que le premier album a un son très proche de Marc Seberg. Après, c’est beaucoup moins évident. Les titres comme ''Attache-moi'' ou ''Le Cimetière d’Orville'' sont imparables mélodiquement. Mais les Noz s’autorisent aussi de longs développements comme ''Le Voyage'' (mon préféré) et ses 6min37 que Jean-Louis Foulquier passe à chaque émission sans les couper sur France Inter. Bref, les fans adorent. Le disque se vend bien, mais l’autoproduction montre aussi ses limites : difficile d’étendre indéfiniment son public sans le support d'une maison de disque.

Les Noz passent par une période difficile. C’est Exit Part I qui révèlera, avec sa sortie en 95, les moments glauques de sa gestation et des mois qui l’ont précédée. Désormais sans Thierry Westermeyer mais avec Henri Dolino, les Noz sortent leur album le plus rock et le plus abrasif. A l’intérieur une citation : « l’étoffe des héros est un tissu de mensonges» (Prévert). Tout est dit. On retrouve Aurélia (personnage du premier album), dans un premier morceau à la violence écorchée. Dans Le Signe, l’idée c’était, pour faire court, que le Monde attend de nouveaux héros, un signe à suivre « Je n’attends plus qu’un signe, Jésus Christ ou Lenine, Che Guevara ou Allah pour décoller de terre ». Dans Exit, c’est clair : « Aurélia disait que notre histoire était vide / Oubliée la belle indécence / Au fond du réservoir des sens / Et sous le carénage où nos rêves s’oxydent / C’était toujours les mêmes vagues/ à l’âme d’indifférence / Peux tu croire encore ceux qui parlent du Nouveau monde (...) Peux tu croire encore le coup des cornes d’abondance ? » ''Joyeux Anniversaire Stéphanie Kerr'' (une ado qui exécuta à coups de fusil sa mère et son frère en 1974 aux Usa et qui « arrêtée après 48 heures de fugue déclara simplement aux policiers pour expliquer son geste ’c’était mon anniversaire’ »), ''La Mer Morte'', "Regarde la Mer descendre", en tout six titres seulement, mais six titres sombres et habités.

Exit sera finalement un diptyque : en 97, Exit Part II voit le jour. On y croise Camus, Desnos, Dali et de nouveaux personnages : le dangereux Manifesto, Lady Winter l’inquiétante qui demande de drôles de bouquets à son amant, la douce Marie-Fleur et sa copine Pénéloppe. Et puis cette traînée de Marianne. Album plus calme musicalement, plus pop, (surtout plus de guitares). Mais plus engagé aussi : «Marianne couche avec de drôles de gens / dans les rues de Paris, Toulon, Marseille, Orange / A leur bras elle s’affiche / Marianne couche avec les allemands / Pour leur bel uniforme, le tissu sans mélange / Le reste elle s’en fiche / mais tu rêves Marianne et tu vas encore revenir pleurer quand ils vont te réveiller / Mais tu rêves Marianne, As-tu oublié nos cris métissés que tu étouffais sous ton oreiller ? Marianne jure qu’ils sont de pur sang / mais trop coucher avec ses frères ça dégénère et ça pourrit en dedans / Alors Marianne accouche d’un mauvais sentiment / L’enfant aura tout de son père : un seul œil devant et des années en arrière». On est en 97.



Ces quatre albums serviront ensuite de matière à un double live pour les fans, Petit live entre amis (98).



Et puis Le voyage de Noz choisit de devenir simplement Noz et d’épurer sa musique. Henri Dolino laisse sa place à la basse à Christophe Courtial. Leur album le plus mature est le reflet de cette évolution : il s’appelle L’Homme le plus heureux du monde (2002 ou peut être 2001, damned, j’ai forgotten) et raconte les aventures et la rédemption d’Esther Appertine (anagramme de Stéphane Pétrier), chanteur adulé («connu autant pour ses succès internationaux ‘le singe’ ou ‘escape part I et II’ que pour son attitude sulfureuse et ses frasques sentimentales ») qu’on croit mort dans un accident de voiture, mais qui, on le suppose, a entamé une nouvelle vie loin des tumultes de sa précédente existence. Pour ce disque les Noz ont demandé à Lis Cottam, une violoniste galoise de l’opéra de Lyon de les rejoindre, et comme Eric Clapot a choisi de quitter l’aventure, le groupe reste un quintette. Bon, je pourrais parler de cet album pendant des heures. C’est une réussite totale, les textes sont époustouflants (essayez, vous, de raconter une histoire en chansons, pas si évident), c'est plein d'humour, d'auto-dérision et pas mal de chansons mettent les poils (mes préférées « La quarantaine », « Le Mont Saint Esther », «Empêche-moi de dormir » ou « Retour à la case départ »). Bref, après plus de 10 ans je suis toujours aussi fan et je connais toujours toutes les paroles par cœur.
Suivront le projet "Ricochets" (10 artistes ont dix mois pour résoudre la question suivante : "qui a tué Lorie Hamilton ?" Chaque artiste a 1 mois pour écrire sa chanson et faire progresser l'intrigue. Au bout d'un mois, on passe au suivant : au final un album choral des groupes de la région et une fin inattendue !), l'album "Tout doit disparaître" (2006 avec le génial ''J'empire") et le DVD pour fêter les 20 ans et des poussières d'existence du groupe cette année (2008).

Et puis, cerise sur le gâteau, l'un des nirvanas de tout fan de rock c'est de voir son nom dans les remerciements d'une pochette. J’ai cette chance, avec des mots de Stéphane qui vont droit au cœur.

Parce que si TOUT a commencé là c’est aussi pour ça. Parce qu’être fan d’un groupe proche, ça représente l’avantage de pouvoir aller à presque tous ses concerts, et en plus de rencontrer ses membres sans trop de difficultés. Et comme les albums des Noz sont truffés de références, de trucs cachés à découvrir, de jeux de miroir pour les fans, ça fait d’autant plus de raisons de rentrer en contact avec les gars du combo.



J’ai 17 ans. C’est la fête de la musique. Je suis à la Fnac Bellecour à Lyon. Les Noz viennent de jouer et remballent leur matériel pour aller jouer le soir à Sainté. Je demande à Stéphane comment me procurer Le Signe. Le lien est noué. Adresse donnée, newsletter (sur papier !) reçue, je mets des affiches pour tous les concerts, je distribue des flyers à la fac. Et puis, je parle avec Stefan, des textes, de ses références, des disques qu’il aime, des disques qui ont influencé le groupe... Et c’est le point de départ. De toute ma culture musicale rock. Il me parle des Pixies, de Genesis période Gabriel, des Smiths, des High Llamas, du Bowie de Ziggy, me conseille d’écouter Harmonium dans un coup de cafard, me parle de ses découvertes, de la musique brésilienne de Jobim mais aussi de Marcio Faracco... Et moi, pendant toutes ces années, je cherche tout ce dont il me parle, je fouille, je dégotte. Marc Seberg m’amène à Marquis de Sade, à l’expressionnisme, à Schiele, Genet à Bowie et Bowie à Genet, etc... Bref, ça dépasse bien entendu la musique, mais tout ce que je vais apprendre sur le rock et cette envie insatiable d’en savoir toujours plus, de comprendre les liens, les ramifications entre les groupes, les œuvres, connaître l’histoire de toute cette musique élargie, tout ça commencé grâce aux Noz. Finalement, la plupart des prochains épisodes (de l’autobiodiscographie) pourraient commencer par : « Si j’ai écouté ça, c’est grâce à Stéphane ».
A la fin d'un concert, il m’expliquait d’ailleurs qu'avec ses potes, ils passaient des heures à faire des listes des 10 meilleurs disques du monde (Ca me rappelle des choses ;-)). Une sorte de Club, déjà.

Alors oui, je peux dire. C’est là que tout a commencé.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

on se dit gros parcours, et on est tres vite rendu en bas ! encore !
Merci pour la genèse, c est normal que ce soit les plus difficiles à écrire, les parcours qui déclenchent. Moi le mien aussi il traine dans ma tête. Moi aussi j ai un là tout à commencer. va falloir s'y mettre...

The Guru a dit…

wouaw !!!!
On peut (ré)écouter ?

Anonyme a dit…

Ah la voix et les paroles de Stéphane Pétrier... Frissons dans le dos.

Anonyme a dit…

i don't have afriend talking about europian musicians

samperlimpinpin a dit…

lire cet article en le fredonnant c'est un peu mystique ....
j'avais 17 ans , maintenant 31 et "ils" ne me lachent pas...
comment l'expliquer ...des sensations musicales , des paroles mysterieuses ,un monde inconnu qui nous attire ( vers le large !)
irrésistiblement.....